Lecture du vendredi : les nouveaux cépages du Languedoc


Dès le début, nos hôtes du Languedoc ont émis des plaintes à propos du temps. Pourtant, la chaleur excessive et les coups de soleil (pour une fois) n'étaient pas au cœur de leurs colères.

« Il a plu tout le printemps », se plaint un vigneron du vignoble de La Clape, situé à la périphérie de Narbonne. Un autre m’a confié qu’il avait « connu des précipitations quasi record en avril et début mai », avec une augmentation concomitante des maladies fongiques. Je me considère chanceux : le soleil a brillé toute la semaine lors d’un voyage de presse fin mai. Et, selon mon ami de Béziers, « le mois de juillet a été plutôt sec et chaud dans l’ensemble ».

Il est intéressant de noter que d’autres producteurs ont décrit 2024 comme un « retour à la normale », une saison qui, jusqu’à présent, n’a pas grand-chose à voir avec les conditions climatiques particulièrement rudes de 2022. Cette année-là, les vignerons de l’appellation Fitou ont commencé à vendanger le 24 juillet. J’ai visité la région au début des vendanges ; de nombreux vignerons parlaient d’une répétition générale pour les millésimes à venir. Ainsi, de ce point de vue, un printemps très défavorable et inhabituellement frais était (presque) un motif de célébration.

Pourtant, rares sont les habitants du Languedoc à se montrer complaisants face au changement climatique, qu’il s’agisse de canicules de 50°C ou d’un déluge biblique en mai. Entre les visites, les dîners, les visites de caves et les ateliers terroir, le thème de l’adaptation a été un sujet de discussion constant ; le souvenir des vendanges ravagées par la sécheresse de 2022, 2020 et 2019 n’a pas encore disparu. Cela a encouragé un nombre croissant de domaines à expérimenter de nouveaux cépages, notamment ceux d’une constitution plus robuste.

Arômes grecs

Des cépages comme l'Assyrtiko, par exemple. « Cette année, nous allons procéder à la première récolte de ce cépage, planté à titre expérimental au Château Capitoul. Nous allons enfin pouvoir goûter et évaluer son potentiel », explique Thomas Bonfils, responsable du développement commercial chez Vignobles Bonfils. « Jusqu'à présent, la vigne a parfaitement bien poussé sur le sol que nous avons choisi et nous n'avons pas eu de mortalité sur sa plantation. »

En effet, le cépage blanc emblématique de la Grèce peut conserver son acidité même dans les climats les plus secs, ce qui explique exactement pourquoi il pense qu'il pourrait avoir un grand potentiel dans le Languedoc.

Bonfils est l'un des plus grands producteurs de la région, avec 15 domaines et plus de 1 600 hectares de vignes. Depuis de nombreuses décennies, il privilégie les cépages indigènes et les accents régionaux : assemblages GSM, Marsanne, Clairette et Bourboulenc blancs. Mais les pressions climatiques, comme le reconnaît Thomas Bonfils, bouleversent les attitudes envers la tradition et le patrimoine viticole du Languedoc. Et là où Bonfils va, d'autres suivront probablement.

« Quand on regarde comment le climat change (de plus en plus de chaleur mais de moins en moins d’eau) et aussi l’évolution des goûts des consommateurs pour le vin, il est certain que nous, vignerons, devons nous adapter à tout cela et penser à de nouveaux cépages pour produire de nouveaux styles dans les années à venir », dit-il.

« Mon cousin Louis et nos agronomes sont concentrés sur cette mission. Ils débattent déjà et discutent des cépages anciens et/ou étrangers que nous allons planter prochainement. » En attendant, il espère que le conseil d’appellation finira par « reconnaître l’Assyrtiko comme cépage officiel de La Clape. »

Qu'il pleuve ou qu'il fasse beau

Cette approche innovante, qui consiste à adopter des alternatives viticoles plutôt que de « nourrir » les raisins classiques en les vendangant plus tôt et en gérant la canopée, etc., devient une politique de fait dans de nombreux domaines viticoles influents. Mais le stress dû à la chaleur et à la sécheresse n'est pas le seul critère de sélection des vignes. Le vigneron d'aujourd'hui veut tout : des variétés résistantes aux maladies fongiques, tolérantes à la chaleur et à la sécheresse, et des raisins qui peuvent aider une entreprise à réduire son empreinte carbone grâce à moins de passages de tracteurs pour les traitements et à des besoins en eau moindres.

« Nous sommes engagés depuis longtemps dans une viticulture durable. La démarche a d’ailleurs débuté en 2001 avec la signature du tout premier contrat d’exploitation collective en France. Six ans plus tard, une étape supplémentaire a été franchie avec la création de parcelles destinées à expérimenter des cépages adaptés aux besoins de la viticulture de demain », révèle Gabriel Ruetsch, chef viticulteur des Vignobles Foncalieu.

Il poursuit : « Nous avons attendu que les variétés soient autorisées en 2016 avant de les planter dans le but de réduire drastiquement notre recours aux intrants de synthèse. »

Selon Ruetsch, Foncalieu a commencé à cultiver des cépages expérimentaux (deux blancs et deux rouges) dans l'Hérault en 2007 – des cépages allemands et suisses ont ensuite été plantés en 2010. « Nous avons ensuite commencé à tester l'Artaban et le Vidoc en 2016/2017 », précise-t-il.

Leur objectif était d’être le premier producteur de vin à élaborer et commercialiser une cuvée issue d’une nouvelle vague de cépages français – « un signe d’audace et d’innovation », pour reprendre les mots de Ruetsch.

« Notre idée était de cultiver un cépage capable de s’adapter naturellement au changement climatique, dans le respect de l’environnement, des vignerons et des consommateurs, tout en étant pionnier en matière de viticulture évolutive. Le premier millésime commercialisé a été le millésime 2018 rouge (Artaban, avec 4000 bouteilles), suivi du millésime 2021 où nous avons introduit le blanc et le rosé dans la gamme (Artaban et Vidoc pour le rouge et le rosé, et Floréal pour le blanc).

En attendant, Foncalieu lance deux nouvelles cuvées en 2024 : Esprit Artisan et Atelier N°10, élaborées à partir du cépage hybride Souvignier Gris. Ce cépage a été inventé par un scientifique allemand, le Dr Norbert Becker, en 1983. À l'époque, les vignerons français auraient probablement craché leur venin si vous aviez suggéré que cette union de laboratoire de Seyval Blanc et de Zähringer (non, je n'en avais jamais entendu parler non plus) devait être plantée dans les sols anciens du Languedoc. Mais les nouveaux défis nécessitent une nouvelle réflexion.

Bien sûr, personne ne jette le bébé avec l’eau du bain. Les totems viticoles du Languedoc – grenache, syrah, carignan, mauzac – ne sont pas prêts d’être arrachés comme une parcelle de vigne rongée par le phylloxéra. Pourtant, l’attrait des hybrides et des importations – robustes, fiables et peut-être même beaucoup plus faciles à cultiver – est là pour durer.